Interview - Steve Mahaut

27 Septembre 2011


M. Steve Mahaut, chef du Laboratoire de Simulation et Modélisation au CEA, a accepté de nous recevoir, pour nous parler de CIVA et de son histoire au cœur de ce projet.

 

Steve Mahaut

 

Comment est né le projet CIVA ?

Le projet CIVA a été développé à partir de 1992, faisant suite au logiciel SPARTACUS, lequel était consacré à l’acquisition et au traitement des données ultrasonores.
Il a été lancé par M. Philippe Benoist, qui était à la tête du Laboratoire de Contrôle par ultrasons au CEA. Par rapport à SPARTACUS, CIVA avait deux objectifs complémentaires : au-delà de l’analyse et du traitement des données, l’intégration de codes de modélisation, et la prise en compte de ces mêmes outils d’analyse et de modélisation pour d’autres techniques CND, en Courants de Foucault et radiographie notamment. La première présentation de CIVA a eu lieu à Nice en 1994.

 

Depuis quand travaillez-vous sur le projet ?

J’ai contribué à quelques développements en modélisation dans CIVA au milieu des années 90 dans le cadre de ma thèse, de 1997 à 2002, puis j’ai été recruté en tant que chef de projet pour des études comportant à la fois des essais expérimentaux, des études de simulation ou d’analyse. J’étais donc essentiellement utilisateur de CIVA, mais aussi spécialiste concernant les techniques multi-éléments. J’ai également été responsable des premières formations à CIVA, à partir de la version 6, au début des années 2000. Outre ces aspects de formation, le besoin de validation et de support auprès des clients de CIVA, de plus en plus nombreux à partir du passage de CIVA sur PC, m’a conduit à assurer ces missions au sein du Laboratoire de Validation et Tests, créé en 2002. J’ai ensuite été nommé chef du Laboratoire de Simulation et Modélisation, à partir de 2006, regroupant les modèles électromagnétique et ultrasonique.

Ce laboratoire, ainsi que le laboratoire de développement du logiciel, en charge de l’ingénierie du logiciel (GUIs, imagerie, architecture du logiciel…), dirigé par Stéphane Leberre, est principalement dédié au développement de CIVA. Depuis 2004, les développements de CIVA sont coordonnés par un chef de projet, initialement M. Philippe Dubois, puis M. Frederic Jenson, et maintenant M. Nicolas Dominguez).

 

Comment êtes-vous arrivé sur ce projet ?

Je suis arrivé au CEA dans le cadre de ma thèse, financée par l’IPSN (autorités de sureté nucléaire), et ai démarré fin 1993 sur l’apport des techniques multi-éléments au CND. Ma thèse comportait une grosse partie expérimentale, mais aussi quelques développements en modélisation du champ ultrasonore rayonné par des traducteurs phased arrays. J’ai intégré ces développements dans le logiciel CHAMP-SONS, module de calcul de champ qui est devenu un composant des outils de modélisation de CIVA.

 

Etiez-vous là dès le début du projet ?

Au tout début du projet CIVA, l’accent avait été mis sur l’imagerie et l’analyse multi-techniques. Mes toutes premières contributions ont donc concerné l’intégration de la modélisation multi-éléments, à partir de la version CIVA 4.

 

Combien y avait-il de personnes et de laboratoires au début du projet ?

Plusieurs personnes étaient impliquées dans le projet, à différents niveaux, en raison de la volonté initiale d’intégrer différentes techniques en CND. Cependant, les personnes impliquées à temps plein représentaient moins d’une dizaine de personne, et se concentraient essentiellement sur l’imagerie et le traitement des données.

Le principal laboratoire impliqué était le Laboratoire de Contrôle Ultrasonore, avec quelques contributions d’autres laboratoires du CEA (méthodes électromagnétiques et radiographie).

 

Comment et à partir de quand les Courants de Foucault et les rayons X ont-ils été intégrés ?

En termes d’imagerie, les Courants de Foucault étaient intégrés dès la première version de CIVA. Les outils de modélisation, développés au sein du Laboratoire de Contrôle par méthodes électromagnétiques, ont été intégrés à partir du portage de CIVA sur PC, dans la version CIVA 6.1 Ces codes, développés sous Matlab avec des IHMs et imagerie associées, ont ensuite été intégrés aux outils génériques de CIVA en termes d’IHM et de visualisation.

Comme pour les Courants de Foucault, des outils d’imagerie puis de traitement d’images radiographiques ont existé au tout départ de CIVA. Puis un premier module de simulation, développé par le LETI (le code SINDBAD) a été intégré à partir de la version 5. Comme pour les courants de Foucault, l’outil de modélisation des techniques radiographiques a par la suite été intégré au sein de CIVA en termes d’IHM et d’imagerie. Par ailleurs, la simulation des rayons X a bénéficié de deux codes de simulation : le code SINDBAD, déjà cité, et le code MODERATO, développé par EDF.
 

CIVA 95-97

 

La façon d’utiliser CIVA a-t-elle évolué dans le temps ?

La philosophie de CIVA est restée la même depuis sa conception : offrir des outils de simulation et d’analyse pour des experts en CND, en s’efforçant de garder des IHM orientées métier, et non spécialistes techniques en modélisation ou analyse. Nous voulions que les outils d’imagerie respectent les pratiques en CND, tout en proposant des outils supplémentaires, permettant par exemple de comparer des images expérimentales et simulées, ainsi que des images vraies (en coordonnées pièces) en profitant de la simulation. Cependant, les principales avancées de CIVA, et ses apports majeurs au cours des années 90, ont concerné la modélisation du CND.

 

Les domaines d’application ont-ils beaucoup évolué ?

Dès le début, les outils de modélisation ont reposé sur des modéles semi-analytiques, afin de donner des temps de calculs compatibles avec une utilisation industrielle intensive, tout en demandant peu d’expertise numérique aux utilisateurs. Ces modèles avaient un domaine d’application très limité : les premiers cas d’applications concernaient des pièces canoniques (planes, puis cylindriques), isotropes, homogènes… En termes de contrôle ultrasonore, par exemple, les premières configurations étaient restreintes aux traducteurs en immersion focalisés. Au cours des années, les modèles ont été étendus pour prendre en compte des traducteurs, des pièces et des méthodes de contrôle de plus en plus complexes. Ceci a permis de répondre aux différents secteurs du CND.

 

A partir de quand les développements ont-ils commencé à prendre en compte l’aéronautique, pourquoi et comment ?

Le secteur aéronautique a rapidement été l’un des plus demandeurs d’outils de modélisation, et l’un des premiers partenaires majeurs en dehors du nucléaire. Les demandes liées en particulier aux contrôles des composites ont donné lieu à différentes thèses, ce qui a permis de doter CIVA de nouvelles fonctionnalités, en modélisation ultrasons et Courants de Foucault notamment. Aujourd’hui, l’aéronautique est également largement actif dans le domaine des PODs et demeure un partenaire majeur dans le développement de CIVA.

 

Quelles ont été les plus grosses difficultés dans la modélisation du logiciel ?

Sans rentrer dans les détails des modèles, les méthodes semi-analytiques (principalement des formulations intégrales) ont toujours constitué le cœur des développements menés au CEA. La difficulté est de déterminer précisément les limites des modèles, qu’il s’agisse d’implémentation de modèles classiques de la littérature ou de nouvelles formulations développées au CEA. Dans la mesure où l’on cherche des modèles génériques et que les utilisateurs peuvent définir une gamme de plus en plus large de configurations, un travail de validation doit être mené en amont, afin d’assurer des résultats satisfaisants quel que soit le paramétrage défini par l’utilisateur. Cette validation est menée dans le cadre d’essais expérimentaux au CEA, mais aussi via une participation régulière à des benchmarks, notamment le benchmark proposé par le WFNDEC et présenté à la conférence QNDE chaque année depuis 2004.

 

Est-ce un point bloquant de réaliser un modèle basé uniquement sur des modèles semi-analytiques ?

Les modèles semi-analytiques présentent deux avantages : outre leurs performances en temps de calcul et en coût numérique, ces méthodes, parce qu’elles reposent sur une modélisation d’un phénomène particulier, permettent une compréhension fine des résultats de simulation (on sait ce que l’on modélise, et on peut à partir de là optimiser une technique pour ce type de contrôle). Dans beaucoup de configurations d’étude nécessitant la simulation, un expert en CND est souvent capable de définir globalement la méthode qu’il mettra en œuvre pour détecter et / ou caractériser un défaut donné. Et la simulation ou l’optimisation de cette méthode peut être traitée complètement ou partiellement par les modèles d’interaction de CIVA.

En revanche, pour des configurations particulièrement complexes en termes de géométrie et matériaux, les méthodes semi-analytiques peuvent ne répondre que partiellement, ou au prix de simplifications excessives, aux problèmes posés. En ultrasons et en radiographie, on peut aujourd’hui simuler des contrôles sur des pièces CAO3D, et sur des pièces hétérogènes. Les modèles Courants de Foucault sont davantage limités en termes de géométrie, plane ou cylindrique, mais en contrepartie, compte tenu des dimensions réduites des capteurs Courants de Foucault par rapport aux dimensions et courbures caractéristiques des pièces, des approximations peuvent souvent être appliquées.

Dans le cas de configurations plus complexes, non traitables par les méthodes semi-analytiques, il peut être nécessaire de recourir à des méthodes numériques.
Ces méthodes numériques de type Eléments Finis, qui restent un sujet d’étude pour de nombreux laboratoires, résolvent de façon exacte des états élastodynamiques et électromagnétiques, mais restent très exigent en termes de temps de calcul et de charge mémoire pour des applications 3D. Dans ce domaine, les méthodes numériques sont en progression constante grâce aux méthodes d’ordre élevé, aux méthodes de type PML.
Par ailleurs, les progrès en termes d’architecture matérielle (multi-processeurs, cartes GPU) conduisent également à une amélioration des performances en faisant appel à la parallélisation, ce qui est également bénéfique pour les méthodes semi-analytiques. En revanche, toutes les méthodes numériques reposent sur un maillage de la configuration, qui peut s’avérer délicat selon la topologie de la configuration.

Les modèles de CIVA sont essentiellement semi-analytiques, mais d’autres modèles hybrides, combinant méthodes semi-analytique et numérique (couplage CIVA avec le code ATHENA développé par EDF pour la simulation ultrasons, par exemple) ont également été développés, avec pour objectif de ne traiter par méthode numérique qu’un domaine restreint de la configuration d’étude, pour laquelle les méthodes semi-analytiques sont insuffisantes.
Cette approche est un axe majeur des collaborations liant le CEA et différents partenaires, en particulier dans le cadre du projet CARNOT CIVAMONT, associant le CEA et différents laboratoires académiques français et européens depuis 2007.