Interview - Etienne Martin

15 Juillet 2016

 

M. Etienne Martin a obtenu un diplôme d'ingénieur de l'ENSAM et a réalisé l'essentiel de sa carrière au sein d'EDF dans le domaine des Examens Non Destrictifs. Il est également Président du Réseau Européen d'Inspection et de Qualification (ENIQ) et au bureau des organismes de qulification et certification du personnel (COFREND et EFNDT).

 

Etienne Martin
 

D’après votre expérience, comment situez-vous les compétences françaises en CND ?

Par comparaison avec d’autres pays, nous avons des exigences de maîtrise des performances des procédés et de compétences des opérateurs qui font que, nous sommes souvent pris en référence dans le domaine.

Mais il est vrai que nous sommes face à des challenges où l’ingénierie de Développement - Qualification ne doit pas oublier les équipes de mise en œuvre avec des procédures "utilisables". Avec les évolutions des techniques, nous aurons peut-être dans les années à venir à nous réinterroger sur les organisations et les compétences des personnels en charge de mettre en œuvre ces techniques durant les phases d’acquisitions et d’analyses.

Ces deux sujets (maintien des compétences et "utilisabilité" des procédures) sont d’actualité au sein du réseau ENIQ (European Network for Inspection and Qualification).

 

Pourriez-vous nous décrire vos attentes en tant que grands groupes industriels tels qu’EDF, en termes de développement des techniques de CND ?

Je serais tenté de répondre : "Plus performant, plus rapide dans le diagnostic et moins cher dans la prestation". C’est le vœu de tout donneur d’ordre.

Il est souvent difficile de manager la prolongation des Sites d’exploitation nucléaire. Les Examens Non destructifs jouent un rôle important dans cette optique en identifiant les dégradations des composants à temps et en offrant par le monitoring des outils d’analyse pour statuer sur le maintien en l’état, la réparation ou le remplacement du composant. Les END deviennent incontournables pour une exploitation d’une installation de production au delà des 40 ans.

Le contrôle non destructif doit évoluer et s’adapter aux évolutions technologiques. Les méthodes et techniques d’END doivent ainsi concilier performances, précision et problématiques d’inspection qui peuvent être de plus en plus complexes, mais aussi prendre en compte certaines contraintes sur les moyens de contrôle comme les restrictions dans l’utilisation de certaines techniques: la gammagraphie haute énergie ou la Directive Européenne 2013/35/EU "Prescriptions minimales de santé et sécurité relatives à l’exposition des travailleurs aux champs électromagnétiques".

 

J’ai cru comprendre que vous encadriez également un projet de régulation, visant à réduire l’utilisation de la radiographie. Quels sont les perspectives envisagées ?

Lors des journées de la Confédération  Française pour les Essais Non Destructifs (COFREND) organisées à Beaune en mai 2005, l’ASN a souligné la nécessité de justifier, au sens de l’article L. 1333-1 du code de la santé publique, la gammagraphie, et de définir les bonnes pratiques pour la préparation et le bon déroulement des chantiers.

La COFREND a édité en 2010 un ouvrage sur la déclinaison du principe de justification en gammagraphie pour aider les protagonistes (Donneurs d’ordre et Fournisseurs) à se poser les bonnes questions avant de faire un contrôle, suivi en 2011 en partenariat avec l’AFIAP, le SNCT, le CETIM et l’IS d’une déclinaison de cette pratique notamment pour le domaine des équipements sous pression.

Si l’ASN a tenu à souligner l’importance des travaux ainsi menés, elle tire un premier bilan réservé sur l’utilisation de ces outils. En effet l’application du principe de justification n’est pas jugée satisfaisante par l’ASN au regard des constats dressés durant les inspections qu’elle mène.

Aussi, la COFREND et l’AFIAP ont considéré qu’il était nécessaire de réunir tous les acteurs pour recentrer et coordonner toutes les démarches et les travaux déjà réalisés, ou en cours de réalisation, par d’autres GT à vocation technique, afin d’adresser un (ou des) document(s) qui auront autorité en la matière ; à savoir, dans un premier temps, diminuer la part de la radiographie dans notre paysage industriel  avec  la mise en place d’un groupe de pilotage désigné  2C2A (Comité de Coordination des Approches Alternatives).

A ce jour, nous avons principalement travaillé sur l’amont, les codes et normes qui ne facilitent pas toujours le déploiement des alternatives à la Radiographie Hautes énergies (travaux qui seront présentés à Esope 2016) mais aussi, dans la continuité des premiers travaux du GT Cofrend gammagraphie, à des guides de bonnes pratiques à l’utilisation du sélénium, des supports numériques, et aussi demain à un guide méthodologique pour tous les secteurs industriels concernés par la difficulté à déployer des alternatives à la RT. Ce document pourrait être basé sur le document CEN/TR 14748:2004 "Essais non destructifs – Méthodologie pour la qualification des méthodes d'essais non destructifs" et sur les travaux en cours au sein de l’AFCEN, sur la rédaction d’un guide pour l’établissement d’un dossier d’équivalence pour les alternatives RT.

 

Vous connaissez je crois le logiciel de simulation CIVA, au-delà de l’aide que peut apporter la simulation dans les qualifications, l’apport majeur de la simulation réside-t-il selon vous dans une meilleure maîtrise du procédé, dans une meilleure compréhension des phénomènes physiques mis en jeux (ou autre...) ?

A ce jour, nous avons deux utilisations possibles des outils de simulation.

  • En amont d’un contrôle, pour mieux maîtriser et comprendre les phénomènes physiques que l’on pourrait utiliser lors du développement d’un procédé, et donc réduire l’utilisation et/ou le nombre de maquettes, et ainsi minimiser les coûts de développement.
  • En aval d’un contrôle pour comprendre certains phénomènes rencontrés lors du déploiement d’un procédé et non anticipés lors de la qualification et/ou validation d’un procédé d’END.

Mais pour ces deux cas, nous avons deux précautions à prendre :

  • La validation de l’outil de simulation pour le cas envisagé, d’où l’importance de connaître les limites du produit, qui pourrait être se concevoir par l’accès à une base gérée par Extende  ou le CEA des cas tests qui pourrait être aussi alimentée par les clients après validation par une organisation type Groupe des Utilisateurs de CIVA,
  • La formation et/ou maintien des compétences des utilisateurs, qui est comme pour le contrôleur END un point important dans la confiance que l’on peut avoir sur le résultat final.

 

Désormais doté d’une partie dédiée à l’analyse, pensez-vous que ce nouvel outil de CIVA UT peut apporter quelque chose dans le Nucléaire, et à EDF en particulier ? L’ouverture à plusieurs formats peut-être, ou des outils experts ?

Pour la première question, je pense que d’offrir la possibilité aux analystes et/ou Experts, par l’apport d’outils de simulation en "live" sur le même outil d’analyse, ne peut que renforcer la confiance de tous sur le diagnostic final.

Pour la deuxième question, en tant qu’Exploitant, nous sommes confrontés à des contraintes sur les conditions d’archivage des enregistrements.

Ce qui veut dire que nous devons éviter qu’une rupture technologique sur les appareils de mesure (sondes, systèmes d’acquisition, ...) avec pour principale conséquence la problématique de l'archivage et des relectures pour les visites futures en terme de :

  • Compatibilité ascendante des standards logiciels et supports matériels  pour relecture des fichiers.
  • Codage en accord avec les outils de relecture (Soft, ...).
  • Compatibilité avec les systèmes d'exploitation (DOS Windows, Unix, Linux, ...).

Le recours massif aux technologies numériques a un impact profond et durable sur les pratiques des divers acteurs intervenant dans les opérations de contrôles non destructifs : acquisition de larges volumes de données, traitements de plus en plus complexes...

Les activités de CND sont dès à présent confrontées aux particularités suivantes :

  • Une gestion et une exploitation de larges volumes de données numériques (plusieurs dizaines de Méga octets) nécessitant de fréquents échanges de données entre les divers intervenants dans les opérations de contrôle ;(Equipes d’acquisition, Analystes et surveillance).
  • Le besoin de ré-exploiter éventuellement toutes ou parties des données de contrôle, plusieurs années après leur acquisition sur site, et ce pour satisfaire à des considérations de retour d'expérience.

La nécessité d'échange et d'assurance de réutilisabilité d'un large volume des données numériques tend à prescrire le recours à un format de données reconnu par les acteurs du CND et adapté à l'échange des données de CND multi technique.

Sans vouloir relancer les programmes Européens des années 90 type PACE (Poste d'Analyse pour le Contrôle et l'Expertise) et le format TRAPPIST de stockage des données, l’idée de pouvoir avoir un outil qui puisse relire tous les formats ne peut que faciliter la formation, l’utilisation des outils d’analyses et le maintien des compétences des analystes.